Génèse

C'est en janvier 2003 que je mets sur papier les premiers caractères d'une situation que l'on pourrait qualifier d'autobiographique. Les jours se succèdent, et les caractères s'accumulent, et l'idée de mettre en page mon troisième opuscule littéraire surgit alors. Son titre était tout tracé, ce ne pouvait être que le même introduisant l'un des paragraphes de mon recueil poétique calligraphié quelques mois auparavant; sa structure aussi était tracée, une histoire d'amour, rédigée à la première personne, un seul chapitre suivi de poèmes en espagnol, gribouillés durant ce même laps de temps. Mon idée première était de traiter d'un Amour non social, c'est-à-dire d'un amour “existible” hors de tout contexte social : je poursuis donc ma rédaction, me protégeant de la chaleur estivale sous l’ombre d’un modeste ficus. Mais le temps passe, et l'autobiographie me pousse à mettre sur planche des paragraphes d'une tout autre nature : plus de 120 000 caractères rédigés (toujours sous ce même ficus) en trois mois et que je ne peux récuser. Je repense donc l’œuvre dans son ensemble, car cette dernière et longue dissertation doit faire partie intégrante de la rédaction finale. J'oublie les poèmes en espagnol qui n'ont plus lieu d'être et imagine alors un roman plus dense, composé en 5 actes : la rencontre, la définition, le dernier instant, la tragédie, le moment final. Le premier était bien ébauché le quatrième bien entamé; ce sera par la suite, au cours de différents voyages, notamment en Bolivie et en Patagonie, que je rédigerai les autres actes, dans une écriture sporadique et chaotique.

Marre de celle là - illustration

En effet, ma rédaction fut loin d’être linéaire, quelques lignes sur un acte, quelques autres sur un autre, et je m’embarque alors dans un traumatisme sans fin qui me demandera trois années d’acharnement : la correction, l’embellissement. Le moindre rajout de caractères à un endroit engendrait la modification d’une phrase à un autre; le moindre changement de mot gênerait le changement de dix autres; le moindre enjolivement d’une strophe me poussait à embellir le paragraphe d’un autre acte; la moindre réflexion sur un passage m’obligeait à méditer des heures sur la conformité d’un autre. Durant trois années donc, je zigzaguais d’un acte à l’autre, d’une phrase à l’autre, d’un mot à l’autre afin de donner à mon œuvre toute l’homogénéité et la signifiance que je lui désirais. Durant ces instants, je compris et pris conscience de cette phrase sublime de Camus, La Peste :

«Il comprit seulement que l’œuvre en question avait déjà beaucoup de pages, mais que la peine que son auteur prenait pour l’amener à la perfection lui était très douloureuse : “Des soirées, des semaines entières sur un mot… et quelquefois une simple conjonction.»

Impossible donc que ce cycle ne cesse, mais il fallut le cesser, et je sus dire stoppe, un jour, et sus admettre que cette ultime lecture que j’allais entamer serait la dernière, qu’il n’y en aura point d’autre, qu’il n’y aura plus de correction, plus d’embellissement, plus d’enjolivement, plus de rajout, plus de permutation, plus de remaniement, plus de rectification, plus d’optimalisation, plus de perfectionnement; bref, plus de révision, stop. Et je mis un terme à la rédaction de mon œuvre en cette après-midi d’octobre 2006, sous un torrent de larmes incontrôlable : ne plus écrire est une souffrance incontestablement supérieure à celle de perpétuellement corriger.

Le Fond de l'Oeuvre

Lorsque j’ai commencé à rédiger Marre De Celle Là, ou tout du moins lorsque que je pris conscience que ce pouvait être mon troisième ouvrage, mon idée première était de parler d’Amour, mais surtout de le traiter hors de tout contexte social, bref, de parler d’un amour non social. Comment définissais-je l’amour non social? C’est suite à plusieurs lectures, notamment Schopenhauer (mais aussi d’une connaissance lyonnaise qui avait rédigé un bouquin sur la sociologie de l’amour), qu’il m’eut semblé comprendre que l’amour n’était pas la seule force suffisante pour unir deux personnes. Le contexte social dans lequel nous vivons impose des règles que l’amour ne peut transcender, et au final, l’amour n’est qu’un “prétexte” pour vivre à deux.

Marre de celle là - illustration

Cette théorie, peu importe mon adhésion, mon idéalisme innocent ne pouvait l’accepter, et c’est cette même innocence qui me poussa à mettre sur ligne ce livre, qui à l’origine devait traiter d’un amour non social, d’un amour impossible. Comment mettre en scène un tel amour? En mettant en relation deux individus dont on ne sait rien de leur situation sociale; en mettant en relation deux individus qui ne parlent que d’eux deux; en mettant en relation deux individus que seul le sentiment amoureux unit. L’écriture fut donc centrée sur cette mise en relation; et à la longue, m’acharnant à nier le sociale pour parfaire ma rédaction, j’ai fini par me “concentraliser” sur le sentiment, le sensoriel, le sensitif. Le fait de m’extraire du contexte social de ces deux protagonistes me poussa à émotionnaliser chacun de leur geste, m’obligea à intensifier la vulnérabilité de leur comportement, m’imposa de commotionner toutes situations qu’ils pouvaient partager.

Au final donc, Marre De Celle Là parle d’un amour sensoriel, sensuel et profondément sensitif, ici tout n’est que sensibilité. Une sensibilité que j’ai souhaité dresser au paroxysme en éternisant chaque instant : ici, le temps relatif a toute sa raison d’être. Avec le recul, cela m’amuse de constater comment la mutation d’un amour non social en un amour sensitif s’est faite de manière totalement anodine et spontanée, comme si le second n’était qu’un corollaire du premier.

Un beau jour, alors que j’étais en pleine rédaction, un ami me demanda pourquoi je ne ferais pas une adaptation cinématographie de l’œuvre? Hormis le fait que ceci ne dépende pas de moi, et que la proposition ne fut que délire d’un jour, un tel film ne demanderait le jeu d’aucun acteur, tout ne serait qu’effets spéciaux. Car Marre De Celle Là est un voyage à l’intérieur de notre corps, de notre cerveau, de notre cœur; tout n’est que palpitation, souffle apexien, bruissement charnel, tout n’est que célérité synaptique, cassure temporelle, asphyxie prolongée : bref, tout est hors contexte social. De plus, si dans le livre, je m’amusais à résumer une caresse de 5 secondes en trois pages, comment la mettre en scène sur pellicule si ce n’est avec des effets spéciaux?

La Forme

Lors de la rédaction de Marre De Celle Là, je me suis imposé pas mal d’impératifs, en fait, ce ne fut point comme mon recueil de poèmes, pure improvisation, loin de là.

- Je souhaitais rédiger l’ensemble de l’œuvre au passé simple. Ce temps est peu utilisé en français oral, et j’ai pris beaucoup de plaisir à l’user même si je ne le maîtrisais pas du tout.

Marre de celle là - illustration

- Je souhaitais faire des références à la culture celtique. Même si ce délire m’était ancré au début, je ne l’ai pas du tout respecté, il s’est dissous au fil de l’écriture. Seules les bagues (ces mêmes qui jonchent ce site dans leur représentation 3D), dont je mentionne leur présence dans le troisième acte, sont un clin d’œil à l’artisanat de cette civilisation. Soit, j’y mentionne de temps à autre quelques divinités, mais les allusions aux mythologies antiques sont fréquentes et pas seulement celtes, hindoues, japonaises, germaniques, grecques…

- Une chose qui me tenait à cœur était d’utiliser des termes techniques, scientifiques, bref compliqués afin que la personne, lors de la première lecture, ne comprenne rien à l’histoire. J’ai donc effectué toute une recherche de mots dans ce style, afin de pouvoir ensuite les insérer dans le récit final. Vous trouverez la liste de ces mots (la liste prend en compte tous les mots que je souhaitais mettre en ligne, pas seulement les compliqués) en bas de cette page. Cette envie n’était absolument pas du sadisme, je voulais juste arriver à cet effet : la personne lit, mais ne comprend pas, car c’est trop compliqué, elle prend le dictionnaire, prend connaissance de la signification du mot compliqué, et comprend alors le récit, telle une révélation. Là aussi, bien évidemment, la présence de mots complexes est trop faible et se noie dans la masse du récit globale; mais je pense être arrivé de temps à autre à cet effet escompté. De plus, l’utilisation massive de mots scientifiques, et notamment ceux en relation avec l’anatomie humaine et plus spécifiquement tout ce qui touche au système nerveux central, m’a permis de parfaire mon envie profonde de définir l’amour comme sensation pure.

- Le récit est une succession de trois points de vue, le point de vue de celui-là, de celle-là, et d’une troisième entité, que l’on pourrait appeler narrateur, ou plutôt observateur. Les deux premiers points de vue sont retranscrits dans le livre à la première personne du singulier, le troisième à la troisième personne. Ce concept de structurer ainsi le récit, je l’ai eu assez rapidement, une fois que tout était partiellement ancré dans ma tête. L’idée première était de marquer une différence profonde entre la sensibilité, l’émotivité de la première personne à la neutralité et la froideur de la troisième; mais aussi de justifier la relativité de toute interprétation. En effet, peut être que la réalité est unique et universelle, mais l’interprétation que l’on fait de cette réalité, soit la vérité, est plurielle et diverse : un même moment n’engendrera pas forcement le même récit suivant qui le raconte, surtout si ce raconteur prend la forme d’un observateur neutre et froid. Malheureusement, je ne pense pas être arrivé au résultat que j’aurais souhaité, et ceci pour plusieurs raisons. Les deux actes rédigés à la troisième personne, le 2 et le 4, sont ma foi très personnels, donc difficiles pour moi de me mettre à la place d’un observateur. Pour l’acte 2, j’ai taché d’émettre parfois des descriptions brèves et insipides, mais elles sont il me semble bien rares. Définissant dans cet acte ce que je pensais nommer amour non social, je ne pus faire preuve de neutralité. Pour l’acte 4, c’est un condensé de pensées personnelles brutes, que j’ai tenté d’adoucir, mais en vain; surtout que je souhaitais cet acte cruel. À vrai dire, je pense être arrivé à un résultat intéressant dans l’acte 5, ou je décris une même scène (début d’une après-midi printanière) depuis ces trois points de vue différents : le temps défile alors de manière totalement différente suivant qui prend la parole. Cette technique narrative m’intéresse énormément, peut être un jour mettrais-je sur papier un récit de la sorte.

Le Site Web

Marre de celle là - illustration

Lors de la rédaction du livre, assez rapidement d’ailleurs, j’ai mis sur la toile le site internet lui étant dédié. À l’origine, c’était surtout pour mettre en ligne mes avancées dans l’écriture, mais tout fut si long que je ne m’y suis tenu. En avril 2007, soit 6 mois après avoir terminé Marre de Celle Là, je repense le site, le reconfectionne intégralement dans son aspect graphique et très rapidement je semble le terminer, mais je bloque. Je bloque sur la partie Genèse, cette même partie où je souhaitais rédiger une sorte d’auto-analyse de l’œuvre. Je bloque, des heures entières face à l’ordinateur, sans aucun mot qui sort, sans aucune touche de clavier effleuré. Je bloque, et ne peux terminer ce site. Fallait-il que je prenne plus de recul face à l’œuvre? Je ne le sais, mais c’est seulement en octobre 2008, soit deux ans après avoir terminé le livre, que je clos le site, et surtout que je me libère de Marre De Celle Là. En cette fin d’après-midi, je mets un terme à six années de dévouement, à six années que j’ai volontairement dédiées à ce livre, à six années de fidélité absolue à mon œuvre. En cette fin d’après-midi de ce lundi 27 octobre 2008, je peux affirmer que ma promesse est tenue, j’ai tenu ma parole d’avoir oser écrire une œuvre sur celle-là, de l’avoir mené à terme, de ne jamais l’avoir abandonné, de m’être dévoué intégralement à elle afin de la mener au plus proche de ma perfection; d’avoir résumé ma vie à l’unique rédaction de ces mots; d’avoir synthétisé, durant toutes ces années, mon unique propriété à la possession de ces feuilles où figuraient ces mêmes mots; d’avoir tremblé à la seule idée de perdre ces mêmes feuilles. C'est donc en 2008 que tout se termina, je mis fin à mon œuvre en tapotant les derniers caractères de cette page web. Tout s’arrête officiellement là, merci encore d’être passé par-là, pour celle-là.

En mars 2016, je m'exerce à une brève mise à jour du site afin qu'il réponde aux nouvelles normes du web, mais surtout pour mettre les liens de la nouvelle version du livre au format Epub.

En juillet 2017, je reprogramme intégralement le site en html5 et css3 et en profite pour refaire les illustrations qui abondent dans ces pages.

En Avril 2021, je reprogramme le site, et en profite donc pour renouveler les illustration. Ce sera la dernière version

Peace