Extraits

Marre de celle là - illustration

Je vous présente ici quelques passages du livre, en fait j'ai décidé de vous montrer un extrait par acte du bouquin. Cependant, pour chacun de ces passages, j'y mets aux côtés de la version définitive, la version primitive, celle qui naquit au commencement de la rédaction. Je n'ai apporté aucune correction à cette dernière pour ce présent site, c'est la version brute telle qu'elle figurait sur mon petit carnet, avec toutes les fautes et les imperfections qui purent la caractériser. Ainsi, vous pourrez constater la différence avec la version finale, celle même qui figure sur le recueil et de ce fait, comprendre ce que fut ma douleur à tant corriger.

Je peux presque affirmer que la correction a fait augmenter de 250 % le volume total du récit. De tous les actes, le quatrième était peut être le plus complet dans sa version première, pour ce dernier, la modification fut concentrée sur la mise à la troisième personne et à conjuguer le tout au passé simple. La correction des autres actes s'est concentrée avant tout sur du rajout, de l'embellissement afin de fortement sensorialiser toutes les émotions qui ponctuent le récit.

Acte 1

Marre de celle là - illustration

C’est donc au lendemain, le ciel ayant retrouvé son noble azur, que je repris place, à peine en meilleure forme, sur la place centrale, sous cet arbuste ombrageux, près de ces dalles plus que jamais déracinées. J’étais fatigué, était-ce du à la maladie? Etait-ce du à l’espérance incessante de mon Graal? Ce qui est clair, c’est que mon visage était en proie à de violentes contractions, mes yeux semblaient sujets à un profond chagrin, comme noyé dans une marre de larmes asséchées; je les couvris de mon masque protecteur. 16h00 n’était que lointain horizon, j’en profitai donc pour prolonger mon repos; je me donnai même le plaisir de lire quelques lignes: Mishima au cas où je me ferais hara-kiri; je me morfondis même dans mes rêveries solitaires. 16h00 retentit de son timbre infernal, toujours masqué par mes lunettes, je me mis à scruter, mais mes rêveries devaient être d’une ultime profondeur pour que je parusse ainsi, tant absent. C’est alors qu’elle apparut, brutalement, sur ma gauche. Je crus alors ne pas être sorti de mon rêve; elle s’approcha, d’une lente cadence, son pull over sous le bras, et m’exhiba son sourire pulvérisateur.

Version finale

Ce fut donc au lendemain matin, après vingt heures de relâchement hypnagogique, le cerveau moins meurtri, mais la panse réclamante, que je repris place, en meilleure forme tout de même, sous ce baliveau ombrageux — le ciel ayant retrouvé son noble azur — proche de ce pavage inchangé. J’étais fatigué, cela ne fit aucun doute, mon visage fut en proie à de violentes contractions, comme cicatrisé par des ravines introversives; mes yeux semblèrent sujets à un profond chagrin, enfouis dans leurs orbites, comme noyés dans une marre de larmes asséchées; mes lèvres se voulurent biaisées, victime d’une élégie des plus funèbre. Était-ce dû à la maladie? Était-ce dû à ces tergiversations répétitives et incessantes? Ou était-ce dû à ce doute convulsif qui me poussait à croire qu’elle était passée en cette veille agitée et qu’elle n’oserait, comblée d’une lourde déception, réitérer cet acte en cette journée apaisée? Mais pourquoi ne devrait-elle pas répéter sa venue? Pourquoi ne devait-elle pas faire preuve d’une persévérance identique à la mienne? Pourquoi? Elle m’aimait! je l’avais ressenti, elle me l’avait fait comprendre, c’était écrit: doutais-je? Non! je ne devais point me perdre dans de futiles conjectures, mais me confier entièrement à mon destin.

16h00 n’étant qu’horaire distant, je tachai d’oublier ce scepticisme obscurcissant par une méridienne des plus ardente, mais il me fut difficile de majorer cette nuit purificatrice. Alors, je me saisis, tel un palliatif, de ma lecture du jour: Mishima au cas où je me ferais hara-kiri; doutai-je? Probablement, vu que je fus par la suite incapable de m’ensevelir dans mes douces rêveries. Alors, je couvris cette marre asséchée de mes boucliers d’Héliaque et me mis à patienter, rejouant au chien haletant et dépendant, bouleversant ainsi mon emploi du temps de quelques révolutions. Sachant le compte à rebours non enclenché, je n’élevai point mon attention à son plus haut degré, mais perdis mon regard, protégé de ces ondes, dans un tracé divagué et stochastique. Les quarts d’heure se succédèrent sans que je ne portasse attention à leur élongation, et je finis par m’ankyloser dans une monotonie gestuelle. Je parus absent, refoulé de mon ficus, loin de cette verdure, la cervelle girouettante, mais le regard vide de perception. Aucune particule ni onde spectrale n’excita mon chiasma, ma chaire était comme téléportée dans un cosmos inerte à la troublante vacuité. Mon esprit fut envahi par un flou opaque, chargé en leptons, et mon intellect sembla se pulvériser en une pathétique et mouvante délitescence: mais mouvais-je? Qu’en savais-je! Et c’est alors qu’elle apparut, brutalement, sur ma gauche, tel un ange désirable et désiré, plus rayonnante qu’une sylphide ensorcelante et convoitée. Je me crus de suite noyé dans les songes les plus délectables, apaisé par la vision la plus séraphique: elle avança, posément, son petit sweat rouge sous le bras, et m’exhiba son sourire pulvérisateur. Le mien calligraphia alors mon visage stigmatisé; mes mares violemment se desséchèrent, sans pour autant humecter mon faciès dont les contractures qui le tiraillèrent s’effacèrent, instinctivement, comme libérées par un ordre divin. Je n’étais point en train de rêver, c’était bel et bien elle, s’approchant d’une démarche de féline et, après toutes ces attentes, elle sembla briller d’une somptuosité phénoménale, d’une gracieuseté inégalée; ou peut-être, pour être plus sobre et donc plus authentique, elle me parut indéfectiblement mignonne, plus que jamais.

Acte 2

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Postés sous l’ombre apaisante des eucalyptus, ils finirent par s’allonger une fois l’infusion terminée, s’enlaçant les jambes, visages posés à plat, paumes unies. Ils discutèrent langoureusement, leur voix se fit très peu entendre, comme s’ils chuchotèrent, même leurs éclats de rire parurent muets. A moins que leur sonorité ne fût que faiblesse face à l’agitation qui les entourait. A quelques décamètres de leur couche, une bande de gamin jouait au football et passaient leur temps à se chamailler pour justifier la moindre faute. Près du télécentre qui accotait la rue Lerma, des travaux de rénovation de la voix martelaient l’air d’un vacarme désagréable. De ces travaux, la circulation de la San Martin s’en trouva perturbé, engendrant un foisonnement de bruit klaxonifié, preuve de l’irritabilité rapide de tout “homme pressé”. Soudain, un bus freina brusquement pour ne point passer au rouge, et la voiture le suivant s’encastra alors dans sa carlingue. Le bruit généré fut d’une grande violence, mais pas à l’échelle de la gravité de l’accident. Les piétons s’immobilisèrent, tournèrent leur regard sur le désastre accompli, ils commencèrent même à s’agiter, et à radoter. Eux étaient toujours allonger, papotant tranquillement, ne portant aucune attention à cette excitation périssable. C’était comme si autours d’eux plus rien n’existait, eux deux et eux deux seulement. Leur sensibilité respective était intégralement tournée vers eux, et ne portaient qu’ignorance à cette pollution abrutissante et exécrable. De ces baisers qu’ils accumulèrent, ils semblèrent générer une aura protectrice à cette moisissure, unis ainsi, leur monde n’était que perfection, silence et détectabilité.

Version finale

Affectueusement cajolés par cet ombrage fluctuant, ils finirent par s’allonger une fois l’infusion terminée, s’enlaçant les jambes, visages posés à plat, paumes unies, iris en résonances et lèvres enivrées d’un désir jonctionnel. Ils discutèrent langoureusement, des palabres secrètes et sincères, leur voix se fit très peu entendre, comme s’ils chuchotèrent; même leurs éclats de rire parurent muets sous cette torpeur estivale, à moins que leur sonorité ne fût que faiblesse face à l’agitation qui les entourait. À quelques décamètres de leur couche, une bande de gamins, de dix à quatorze ans, jouait au football et passait son temps à se chamailler pour justifier la moindre faute adverse. Près du télécentre qui accotait la rue Lerma, des travaux de rénovation du bitume martelaient l’air d’un vacarme désagréable et oppressant. De ces travaux, la circulation de la San Martin s’en trouva perturbée, réduite à une seule voie, engendrant un foisonnement de bruits klaxonifiés, preuve irréversible de l’irritabilité rapide de tout homme pressé. Soudain, un bus freina brusquement pour ne point passer au rouge, et la voiture le suivant s’encastra alors dans sa carlingue, parachevant de détruire son pare-brise qui était déjà bien fissuré. Le bruit généré fut d’une grande violence, mais pas à l’échelle de la gravité de l’accident. Les piétons s’immobilisèrent, tournèrent leur regard sur le désastre accompli, ils commencèrent même à s’agiter, à radoter, à commérer, à ricaner. L’automobiliste sortit de son véhicule et fut déconcerté par son état; il se frotta la nuque tout en fronçant son regard pour éviter de croire en ce qu’il voyait. Le chauffeur du bus, de bon embonpoint et de bleu vêtu, vociféra et insulta ce dernier pour lui justifier son incompétence. Tout autour de l’incident, la masse s’amassa tel un ramassis et portait des jugements; les passagers du bus admirèrent la scène depuis les fenêtres ternies par la contamination, certains descendirent, d’autres hésitèrent à sortir. Soudain, un véhicule de la police communale surgit de nulle part, et stationna sur le trottoir faisant face au carambolage, ce qui poussa la foule à se disperser et à disparaître comme satisfaite par l’allégorie de ce bel instant. La posture des policiers, deux lourdauds en uniforme, mit un terme aux jérémiades, poussant au calme, et introduit les négociations sur les causes de l’accident. Eux étaient toujours là, allongés, papotant tranquillement, portant moins d’attention à cette excitation périssable qu’aux subtils bruissements de leurs lèvres intermittemment jointes. C’était comme si autour d’eux plus rien n’existait, plus rien sauf eux deux et eux deux seulement. Leur sensibilité respective était intégralement tournée vers eux, enfermée sur elle-même, ne portant qu’ignorance à cette pollution abrutissante et exécrable. De ces baisers qu’ils accumulèrent, ils semblèrent générer une aura protectrice à cette moisissure citadine; unis ainsi par leurs phalanges entrelacées, leur monde n’était que perfection, silence et détectabilité.

Acte 3

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Dans ce moment d’accalmie, toujours bien enveloppé contre ma chair, il déposa sa tête dans la ravine évasée de mon buste transpirant, plaquant son regard sur ma peau velouté, semblant pleurer comme un nouveau-né. Je l’enrobai, de l’ensemble de mes bras protecteurs, couvrant son visage, comme une mère attentive donnant le sein à son bébé. Nous restâmes ainsi, dans cette position que j’aimai à délecter et que je lui savais nécessaire, à marquer un temps de somnolence, à savourer la beauté de ce silence instauré. Je sentais sa respiration humecter ma poitrine tourmentée par la vivacité de mon martèlement cardiaque, même moi, j’avais du mal à reprendre mon souffle: mes poumons confinés par la pression qu’il exerça. Mon visage tourné vers la porte d’entrée, je m’évadai dans des songes extatiques tout en prolongeant les caresses que je portai sur sa rase chevelure. J’avais l’impression d’être sujette, à ses côtés, d’un bonheur assuré, et le fait de repenser à ce bonheur partagé fit extraire de mes orbes oculaires un maigre flot perlé. J’étais heureuse, loin de cette incompréhension, proche de lui, sous la protection de con corps amaigri même si je savais sa vulnérabilité plus probante que la mienne. Que me vie était douce à ses côtés, baignée dans la plus parfaite félicité, noyé d’une alacrité limpide et harmonieuse. Je souhaitai que ce bonheur fût éternel, je souhaitai que nous restassions unis jusqu’à la fin de nos jours, je souhaitai notre union immortelle: mais qu’est-ce qui pouvait contrecarrer l’exhaussement d’une telle destinée?

Version finale

Submergés par une nouvelle accalmie à la réviviscence perceptible, nous préservâmes cette agréable staticité qui semblait soudainement nous dominer. Il demeura bien enveloppé contre ma chair, mais très vite il coulissa son visage dans la ravine évasée de mon buste transpirant, plaquant son regard sur ma peau veloutée, semblant pleurer comme un nouveau-né. Je l’enrobai, de l’ensemble de mes bras protecteurs, enfouissant toujours plus son visage et le couvrant de privautés suaves, comme une mère attentive donnant le sein à son bébé. Nous restâmes ainsi, dans cette position médusée que j’aimai à délecter et que je lui savais nécessaire, à marquer un temps de somnolence, à savourer la beauté de ce silence instauré. Je sentis sa respiration humecter ma poitrine, elle-même tourmentée par la vivacité de mon martèlement apexien, car moi aussi, j’avais du mal à reprendre mon souffle. Alors, afin d’enliser l’embolie, mon visage chavira, telle une morte! dirigeant mon regard vers la porte d’entrée à la base fluorescente. Cette vive lueur sembla me détendre, m’apaiser et me guider vers la sortie émancipatrice d’un tunnel sans fin à la ténébreuse illisibilité. Tout en prolongeant mes caresses sur sa rase chevelure, je m’évadai subtilement dans des songes extatiques, qui harmonisèrent mon esprit et le guidèrent dans un écoulement édénique. J’avais l’impression d’être sujette, à ses côtés, d’un bonheur assuré, d’une félicité manifeste, et le fait de repenser à ce bonheur partagé fit extraire de mes orbes oculaires un maigre flot perlé. J’étais heureuse, loin de cette incompréhension, de cette noise incessante; que j’étais heureuse proche de lui, sous la protection de son corps amaigri même si je savais sa vulnérabilité plus probante que la mienne. Que ma vie était douce en ces lieux, baignée dans la plus parfaite béatitude, noyée d’une alacrité limpide et astatique. Je souhaitai que ce bonheur fût éternel, je souhaitai que nous restassions enchaînés jusqu’à la fin de nos jours, je souhaitai notre union immortelle: mais qu’est-ce qui pouvait contrecarrer l’exhaussement d’une telle destinée? Rien! notre Amour était invulnérable, rien ne pouvait le recouvrir, il était apte à scinder en deux la Cordillère, notre Amour était éternel et marchait en silence, il était immuable à travers les années.

Acte 4

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Venaient certains vendredi et samedi soir où, après que la lune ai porté sa parfaite rondeur au faîte de ses possibilité, je filai, modestement accompagné, dans les pubs de la Balcarce afin d’inonder mon gosier du Dieu éthylique où j’espérai par la suite vomir mon alcool et ma haine et ainsi, l’évacuer par la même occasion. Evacuer ma belle, mon unique, ma douce et tendre, comme font tout ceux victime d’un blouse sentimental. Mais à chaque escapade, malgré les litres ingurgités, malgré l’intensité des décibels imposés, malgré l’excitante énergie qu’il pouvait se libérer de tels lieux, il ne se produisait rien, aucune évacuation. Au contraire, j’avais l’impression que son image, son aura, sa douceur ne faisait que prendre plus de place au sein de mon hangar sensitif. Noyé dans son imagerie, j’avais l’impression qu’elle me libérais de ce lieu infecte et immonde où tous ne faisaient que répondre au destin despotique dans lequel ils s’étaient installés. Ils sautillaient tous, sans exception, lorsque les spots stroboscopiques le leur ordonnaient. Ils hurlaient et contre attaquaient le capitalisme après chaque refrain engagé de leurs groupes de rock favoris tout en se saluant de leur verre étiqueté qui ne faisait que sponsoriser leur libération. A se dandiner, à s’exhiber, les garçons d’un côté, les filles de l’autre, à s’attendre mutuellement, mais d’où ne découlait aucune suite. Car seule haine vomiteuse découlait de leur extravagance nocturne qui rééquilibrait parfaitement bien leur balance pitoyabilisé par leur intégration sociale. Il est clair qu’au petit matin, ils auront tout oublié de leur misérable semaine passée à exécuter et à subir. Et moi! je semblais être l’intrus dans cette masse d’artificiers; totalement insensible à cette réponse obligée; cherchant secours, exil et réconfort dans sa douceur imagée, dans sa tendresse soupçonner. Décidément, elle seule pouvait me libérer de ce désastre obligatoire.

Version finale

Vint un samedi soir, dès que la lune déposa sa parfaite rondeur au faîte de ses possibilités, où, modestement accompagné, il fila dans les pubs de la Balcarce afin d’inonder son gosier du Dieu éthylique, souhaitant par la suite vomir son alcool et sa haine. Ainsi, espéra-t-il L’évacuer par la même occasion de son chaudron cérébral: évacuer sa Belle, son Unique, sa Douce et Tendre, comme font tout ceux, moins victime d’un blues sentimental qu’à la dévotion dipsomaniaque, par la digestion massive de cette levure cervoisée. Mais, malgré la boisson, malgré l’intensité des décibels imposés, malgré l’excitante énergie qui put se libérer de tels lieux, il ne se produisit rien, aucune évacuation. Au contraire, il avait l’impression que Son image, Son aura, Sa douceur ne firent que prendre plus de place au sein de son hangar sensitif; il avait l’impression, noyé dans Son imagerie délicieuse et délicate, qu’Elle l’émancipa de ce lieu infect et immonde où tous ne firent que répondre au destin despotique dans lequel ils s’étaient installés. Ils sautillèrent tous, sans exception, lorsque les spots stroboscopiques le leur ordonnèrent; ils hurlèrent et contre-attaquèrent le système après chaque refrain engagé de leurs groupes de rock favoris; ils trinquèrent machinalement, se saluant de leurs verres étiquetés qui ne faisaient que sponsoriser leur libération. À se dandiner, à s’exhiber, les garçons d’un côté, les filles de l’autre, tous s’attendaient mutuellement, mais seule la haine vomiteuse découla de cette extravagance nocturne qui rééquilibra parfaitement bien leur balance pitoyabilisée par leur intégration sociale. Et lui, seul, isolé, insensible aux grimaces que faisaient tout autour de lui ces poissons dans la nasse, trouva secours, exil et réconfort dans Sa douceur truculente, dans Sa tendresse soupçonnée, dans Sa délicatesse incommensurable. Décidément, Elle seule pouvait le libérer de ce désastre obligatoire, donc à quoi bons ces déboires nocturnes suggestionnés par ce poison européen alors que sa drogue était ailleurs? Il ne réitéra cette expérience, trop apeuré par son abâtardissement, par cette foule polygame à la recherche de furtivité, par cette phallocratie consomptive. Il préférait balziner seul, laissant ses membres insistants battre au rythme de son cœur qui, poussé par l’avidité de revoir sa Madone, sa Méthadone, parvenait parfaitement à inoculer à son être contaminé une énergie nouvelle. Car il l’était, contaminé, intégralement contaminé, pas une partie de son corps n’était épargnée par cette torpeur analgésique: le moindre de ses ribosomes, l’ensemble de ses “colimaçons”, l’intégralité de ses cations. Pas une particule, aussi infime fût-elle, n’était épargnée. C’était comme s’il avait absorbé des psilocybes jusqu’à en surpasser la dose létale. Mais l’hallucination était loin d’être psychédélique, vu que seule Son harmonie épidermique martelait sa psyché en proie aux délires les plus eidétiques. Il était rongé au plus profond de ses cellules et ces dernières, telles des monades, lui transmettaient ce message universel qu’Elle était l’Amour dans sa définition la plus noble. Dérivant dans cette définition comme dans son alcaloïde sentimental, il semblait incurable, même après ces mois de désintoxication forcée. Les premières absorptions de ce digestif sudoral et toutes celles qui suivirent avaient eu raison de son avenir jusqu’en son terme. Elle était l’ordonnatrice de ses transmissions synaptiques, Elle régissait le moindre de ses artéfacts, Elle était sa marionnettiste, et le pouvoir de Ses filins se voulait toujours aussi probant, même après Sa disparition incomprise. Piégé dans Son hilotisme, Elle ne le lâchait point, au contraire, Elle l’agrippait, l’arrachait à la réalité, Elle le contaminait jusqu’à ce que mort s’en suivît. Car qui seul que la mort pouvait le libérer de ce laudanum sentimental; quoi d’autre, excepté Son retour, pouvait combler, de nouveau, ses caprices d’opiophage?

Acte 5

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Passée le New Times, de par ces jeux successifs de colonnes et de feuillages, je crus l’apercevoir, assis sous le ficus. De nouveau cachée par la verdure, je n’osai faire marche arrière pour m’en assurer. Mais ce ne pouvait être que lui, car lui seul savait prendre congé sous cet arbuste et profiter de son obscurité généreuse. Ma respiration s’intensifia, jusqu’à ce que j’en devienne essoufflée; je sentis mon ventricule tambouriner la paroi de mon classeur; je sentis mon visage se crisper, instantanément; et une fois la rue traversée, la confirmation me fut révélée: c’était bien lui, accroupi, contre le tronc, à s’évader dans ses lectures. Je m’immobilisai un instant afin d’enclencher une marche plus lente, plus silencieuse, comme si j’eus voulu, instinctivement, ne point le déranger. Je m’avançai posément, fixant mon regard sur lui seul, comme sur ma destinée. Je le sentis amaigri, j’eus l’impression qu’il avait perdu dix kilos; sa tignasse était abondante, à croire qu’il ne se l’était taillée depuis ce jour où je jouai pour la première fois à la coiffeuse; sa barbe était prohibitive, il n’avait dû se raser depuis nos séparations. Il semblait toujours vêtu du même jeans et du même pull, et ces derniers paraissaient bien usés et maculés. J’eu l’impression de me retrouvé face au cadavre de mon Amour: en étais-je la responsable? son corps ne semblait plus être, son cœur l’était-il toujours?

Version finale

Passée le New Time qui me parut bien vide pour cette heure-ci, de par ces jeux successifs de colonnes et de feuillages, je crus l’apercevoir, assis, sous le ficus. Terreur! Frayeur! Horreur! Stupeur! De nouveau cachée par la verdure, je n’osai faire marche arrière pour m’en assurer, mais ce ne pouvait être que lui, car lui seul savait prendre congé sous cet arbuste et profiter de son obscurité généreuse. Ma respiration s’intensifia, jusqu’à ce que j’en devinsse essoufflée; je sentis mon ventricule tambouriner la paroi de mon classeur; je sentis mon visage se crisper, instantanément; je me sentis entraînée dans une tourmente sans fin, quasi défaillante; je me sentis choir dans une hypnose insurmontable; je me sentis asséchée, déliquéfiée, victime d’une consomption gutturale; mais je me sentis revivre aussi, telle une élue de la puissante Ishtar. Et une fois la rue traversée, la confirmation me fut révélée, amplifiant mon angoisse: c’était bel et bien lui, accroupi, contre le tronc, à s’évader dans ses lectures interminables, Négra n’était pas très loin. Je m’immobilisai un instant afin de reprendre mon souffle, d’avaler ma salive pour humecter cette gorge violemment déshydratée et de remettre sur pied mon croulement sensoriel. Mes yeux fermés se portèrent sur le sol, je tachai de supporter l’intensité de ma respiration en la bloquant un instant; j’imaginai la courbure de mon classeur sous la pression de mes paumes. Mes esprits partiellement retrouvés, j’enclenchai une démarche plus lente et plus silencieuse, comme si j’avais voulu instinctivement, et bien qu’une certaine distance nous sépara encore, ne point le déranger. Malgré l’esclandre qui secoua ma psyché, je m’avançai posément, fixant mon regard sur lui seul, comme sur ma propre destinée, ouvrant la bouche afin d’emmagasiner suffisamment d’oxygène pour assagir ces insupportables palpitations. Je m’avançai lentement, le pas frémissant d’un effroi non enfoui et, de mon regard effaré, je l’auscultai intensément. Je le sentis amaigri, j’avais l’impression qu’il avait perdu dix kilos, Erysichton même semblait obèse à ses côtés; son visage sembla couvert par les marques d’une agonie languissante; sa tignasse était abondante et crasseuse, à croire qu’il ne se l’était taillé depuis ce jour où je m’étais faite coiffeuse: que je l’aurais souhaitée, à cet instant, rasée au plus court. Sa barbe était prohibitive, telles les loques révoltées sorties de ses BD favorites, il n’avait dû se l’épointer depuis nos séparations. Il était toujours vêtu de ce même jeans délavé et de ce même pull noir, mais ces derniers parurent bien usés et maculés. J’avais l’impression de me retrouver face au cadavre de mon Amour, face à la dégénérescence de sa splendeur: était-ce dû à cette cruelle solitude dont il avait été la proie? Son corps sembla ne plus être, comme déporté dans un abyme déchiqueteur; son cœur l’était-il toujours?